L’intégration par les mouvements oculaires: un catalyseur de la capacité d’autoguérison de l’être humain
Feb 14, 2020L’intégration par les mouvements oculaires (IMO) suscite chez les gens des réactions variées: de la curiosité et de l’enthousiasme chez certains; du scepticisme et de la méfiance chez d’autres. Afin de démystifier cette technique avant-gardiste, nous vous présentons, ma collègue et moi, une vignette clinique suivie de nos commentaires. Mais d’abord, définissons ce qu’est l’IMO.
L’IMO est utilisée pour aider les personnes à surmonter des problèmes récurrents notamment les séquelles liées à des expériences traumatiques. Au cours d’une séance IMO, le thérapeute guide les mouvements oculaires du client tout en veillant à ce que ce dernier reste en contact avec son expérience de l’événement à l’origine des difficultés actuelles (ex.: accident). Les mouvements oculaires, lents et effectués dans différentes directions, facilitent alors l’accès à des informations multisensorielles (souvenirs visuels, sonores, olfactifs, gustatifs, sensations physiques), cognitives et émotives relatives à l’expérience ciblée. Ces mouvements oculaires favorisent également l’intégration de ces informations, donc de l’expérience traumatique.
Origines de l'IMO
Cette technique a été créée à la fin des années 1980 par les psychologues américains Connirea et Steve Andreas. Formés en programmation neurolinguistique (PNL), ils savaient qu’il existait un lien entre la direction du regard et l’accès aux différentes informations internes. Par exemple, lorsqu’on demande à quelqu’un de se souvenir de son école primaire, ses yeux vont dans une certaine direction. Si on lui demande de se rappeler la voix de tel ami, les yeux s’en vont dans une autre direction. Ils ont donc eu l’idée d’utiliser les mouvements oculaires comme porte d’accès aux informations en lien avec les expériences non intégrées et ont rapidement constaté l’efficacité de cette intervention.
La psychologue québécoise Danie Beaulieu, Ph. D., s’est intéressée à l’IMO dès 1993. Après avoir assisté à une démonstration de la technique par Steve Andreas, elle a tenté de comprendre pourquoi la technique était efficace. Ses travaux ont mené à l’ajout de plusieurs éléments (ex.: des techniques d’impact) et au perfectionnement des protocoles aujourd’hui enseignés. Elle est l’auteure du seul ouvrage officiel sur la méthode : Eye Movement Integration Therapy (la version française publiée aux Éditions Quebecor : Intégration par les mouvements oculaires).
Vignette clinique: Audrey, victime de violence conjugale
Audrey est une professionnelle de 32 ans. Elle a été en couple pendant un peu plus de deux ans avec Guillaume. Au cours de la relation, il s’est montré de plus en plus jaloux, contrôlant, dénigrant et l’a bousculée à quelques reprises. Un jour, il a frappé Audrey et l’a secouée violemment. Elle a alors porté plainte à la police et a mis fin à la relation. Malgré l’interdit de contact émis, Guillaume a continué de se rendre chez Audrey et lui a fait des menaces. Elle a donc déménagé, ce qui a ajouté à sa détresse en amenant un stress financier.
Par la suite, Audrey a développé des symptômes de stress post-traumatique avec crises de panique et dépression majeure. Son médecin lui a prescrit un arrêt de travail ainsi qu’une médication (stabilisateur de l’humeur et anxiolytique). Il lui a aussi recommandé une psychothérapie.
Audrey a pris la médication, mais n’a pas voulu entreprendre une psychothérapie, préférant essayer d’oublier les événements. Après deux mois de médication, son état s’est amélioré: les symptômes de dépression étaient maintenant dans le spectre de la dépression légère, les crises de panique étaient rares, l’anxiété mieux contrôlée. Les intrusions cognitives, les cauchemars et la détresse émotionnelle étaient moins fréquents et moins intenses. Par contre, l’état de stress post-traumatique était encore présent. Les symptômes d’évitement restaient très importants. Elle demeurait très irritable, avait de la difficulté à se concentrer. Elle avait peur de possibles représailles de la part de Guillaume, se dévalorisait, se sentait honteuse et ne comprenait pas pourquoi elle était restée si longtemps dans cette relation. Elle craignait ne plus pouvoir faire confiance à un homme, ni se faire confiance à elle-même. Elle avait encore peur de faire des crises de panique. Elle était aussi très anxieuse face aux procédures judiciaires en cours, puisqu’elle allait devoir témoigner lors du procès.
Voyant que plusieurs symptômes persistaient malgré la médication, Audrey décida d’entamer une psychothérapie. Elle consulta alors une psychologue. À la fin de l’étape de l’évaluation, la thérapeute exposa à la cliente des traitements susceptibles de l’aider: la thérapie cognitivecomportementale, l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) et l’IMO (intégration par les mouvements oculaires). La thérapeute, expérimentée en IMO, lui indiqua que, selon son évaluation, cette technique serait tout à fait appropriée.
Malgré un certain scepticisme, la cliente accepta de vivre l’expérience. Avant d’entamer des traitements IMO, la psychologue consacra une rencontre à la psychoéducation sur le cycle de la violence, sur les moyens de sortir de la dépression et sur la gestion de l’anxiété.
Premier traitement IMO
Lors de la rencontre suivante, la thérapeute effectua un premier traitement IMO sur le thème de la violence physique de l’ex-conjoint. Au fil de la séance, des fragments de souvenirs remontèrent, un peu comme des pièces d’un casse-tête. La cliente nomma les souvenirs, les pensées, les sensations et aussi une foule de sentiments : impuissance, colère, honte, déception. À la fin de la séance IMO, Audrey prit conscience de plusieurs changements dans son expérience face aux événements: l’image de Guillaume lui semblait plus loin et moins menaçante; elle ne ressentait plus l’anxiété et l’effet de surprise présents au début du traitement; elle se sentait plutôt calme et son corps était moins tendu; la honte avait diminué et elle ressentait même une certaine fierté d’avoir appelé la police et d’avoir repris le pouvoir sur sa vie en mettant fin à la relation.
Deuxième traitement IMO
Lors de la séance suivante, deux semaines plus tard, Audrey indiqua que les intrusions cognitives liées à l’agression physique avaient cessé. De plus, elle avait fait beaucoup moins d’évitement. Toutefois, Audrey mentionna que, depuis la dernière séance, plusieurs souvenirs de moments où Guillaume l’avait dénigrée lui revenaient en tête et que ces souvenirs généraient de l‘anxiété. La psychothérapeute trouva avec la cliente un souvenir particulièrement intense d’un événement où, à la suite d’un désaccord, Guillaume l’avait humiliée. Après avoir décortiqué ce souvenir selon le protocole propre à l’IMO, la psychologue effectua un second traitement IMO.
Dans les deux semaines qui suivirent ce deuxième traitement, Audrey constata une nette amélioration de son état physique et psychologique. En effet, elle avait retrouvé son énergie; son niveau d’anxiété avait grandement diminué; elle était fière d’être passée en auto devant le lieu de travail de Guillaume en se rendant chez sa sœur plutôt que de faire un détour comme avant; elle était surtout contente de constater qu’elle n’avait pas ressenti la détresse émotionnelle qui l’accompagnait depuis des mois. Sa vision de l’avenir s’était améliorée: elle entrevoyait la possibilité de fréquenter à nouveau un homme et pensait d’ailleurs accepter l’invitation à souper d’un ami. La thérapeute, au terme d’une évaluation finale, diagnostiqua un état de stress post-traumatique en rémission complète. La psychothérapie se poursuivit pour aider Audrey à se préparer à témoigner en cour et pour l’aider à améliorer sa capacité à reconnaître, exprimer et respecter ses limites.
Nos commentaires
Cette vignette clinique met en évidence les nombreux avantages de l’IMO. L’un d’eux est que le traitement donne accès à l’ensemble de l’expérience du client. Ainsi, au cours du traitement, la personne entre en contact avec ses émotions, ses cognitions, mais aussi avec les différents aspects de son expérience enregistrés dans les modalités sensorielles: images, sons, sensations physiques, même odeurs et goûts dans certains cas.
Il est important de noter que le traitement IMO donne aussi accès au contenu inconscient de l’expérience. Par exemple, au cours du traitement IMO, Audrey a retrouvé le souvenir de l’émission de télévision que Guillaume écoutait juste avant de la frapper et elle a compris pourquoi elle avait un malaise lorsqu’elle entendait le thème musical de cette émission. En thérapie traditionnelle, il est plus difficile d’avoir accès à ce genre d’informations inconscientes. Le traitement IMO, en favorisant le rappel d’informations, permet une résolution plus complète du traumatisme.
Un deuxième avantage: le traitement IMO amène une intégration cognitive de l’expérience. En effet, les clients rapportent très souvent un changement dans leur façon de penser. Par exemple, un client peut en arriver à dire « Je comprends maintenant que je ne suis pas coupable ». Dans d’autres cas, les clients rapportent que ce qu’ils savaient « avec leur tête », mais n’arrivaient pas à ressentir, est maintenant ancré. Par exemple, on peut entendre un discours tel que celui-ci : « Je savais que ce n’était pas ma faute, mais je me sentais quand même coupable. Le sentiment de culpabilité est maintenant disparu. » À la suite du traitement par l’IMO, les clients rapportent généralement une impression d’unité, de connexion entre leurs pensées et leur senti.
Un autre aspect important mérite d’être souligné. L’IMO est « écologique », c’est-à-dire qu’elle fait appel au processus naturel d’intégration inhérent à chaque être humain. À toutes les étapes de l’IMO, le thérapeute intervient dans le but de stimuler ce processus naturel d’intégration. Il guide les mouvements oculaires et recueille l’expérience du client sans offrir d’interprétations, sans faire de suggestions, sans recadrer les cognitions… Ainsi, l’IMO amène le client à utiliser ses propres ressources, c’est-à-dire ses propres expériences positives, ses forces, son système de représentations intérieures. Les conclusions positives auxquelles arrive le client ne sont pas dictées par le thérapeute, mais bien par son propre système interne, sa propre neurologie. L’expérience du client est alors intégrée naturellement, de manière écologique.
Tous ces effets associés à l’IMO expliquent sans doute pourquoi cette technique provoque des changements aussi rapides. Comme dans le cas présenté, il n’est pas rare que l’on parvienne à une résolution complète en une ou deux séances, surtout s’il s’agit d’un trauma isolé. Il est rare que l’on dépasse six séances pour un même thème traumatique. Évidemment, même si l’IMO est très efficace pour résoudre un traumatisme et aider la personne à reprendre contact avec ses ressources, ce traitement n’enseigne pas de nouvelles habiletés. Il peut donc être nécessaire, dans certains cas, de poursuivre la psychothérapie avec d’autres outils.
Une question que certains se posent: de quelle approche relève l’IMO? En fait, cette technique n’est pas associée en particulier à l’un des courants en psychologie. Néanmoins, quelle que soit l’approche des praticiens, chacun y trouve son compte. Par exemple, les thérapeutes d’approche cognitivo-comportementale voient un intérêt dans l’IMO en raison de l’effet de désensibilisation rapide et des changements suscités sur le plan cognitif. Ceux d’approche humaniste s’émerveillent, quant à eux, devant la capacité des clients de prendre contact, dans l’ici et maintenant, avec les émotions et les sensations associées à leur expérience. Les thérapeutes d’approche psychodynamique apprécient, notamment, le fait de pouvoir travailler de façon efficace, par exemple, sur les blessures émotionnelles de l’enfance (rejet, dénigrement, inceste, violence psychologique, etc.).
L’IMO : une approche en expansion
L’IMO ne sert pas seulement dans le traitement des souvenirs traumatiques. Au fil des ans, les applications de l’IMO se sont élargies. Elle est utilisée dans le traitement des phobies – que l’étiologie soit connue ou non –, de troubles panique, de troubles de l’adaptation, de souvenirs négatifs et récurrents (sans qu’il s’agisse d’un état de stress post-traumatique proprement dit). Ces dernières années, on a constaté l’utilité de cette technique dans le développement de ressources et dans le travail sur des états du moi.
À ce jour, près de 5000 thérapeutes ont été formées sur plusieurs continents: en Amérique du Nord, en Europe, en Afrique et, depuis peu de temps, en Asie. La plupart des thérapeutes ont été formés par la Dre Danie Beaulieu, psychologue. Il y a quelques années, l’IMO a suscité la curiosité et l’enthousiasme du Dr Woltemade Hartman, professeur titulaire à l’Université de Pretoria et directeur du MEISA (Milton Erickson Institute in South Africa). Ce chercheur, après avoir reçu l’entraînement requis, a commencé à enseigner l’IMO en Afrique et en Europe. Il dirige en ce moment plusieurs projets de recherche sur l’IMO. Souhaitons que celles-ci nous permettront de comprendre davantage les mécanismes sous-jacents de cette forme de traitement avant-gardiste qu’est l’IMO.
D’ici à ce qu’on comprenne ce qui se passe exactement dans le système neuronal des clients, les professionnels formés en IMO pourront continuer de s’émerveiller devant les effets de cette technique respectueuse de la capacité d’autoguérison de l’être humain.
Stéphane Migneault et Stéphanie Deslauriers, psychologues
Bibliographie et webograhie
Beaulieu, D. (2003) Eye movement integration Therapy – The Comprehensive Clinical Guide. Wales, Crown House Publishing.
Beaulieu, D. (2012). L’intégration par les mouvements oculaires : manuel pratique de la thérapie IMO. Montréal, Quebecor.
Struwig, E. & van Breda, A. D. (2012). An exploratory study on the use of eye movement integration therapy on overcoming childhood trauma. Families in Society: The Journal of Contemporary Social Services, 93 (1), 29-37.
Information sur les formations en IMO : www.academieimpact.com
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Bonne lecture!