Le concept le plus important en psychologie?
Feb 11, 2020Il existe des centaines de termes, de notions dans l’univers de la psychologie. Selon vous, quel est le concept le plus important? Après plus de 15 ans de pratique de la psychothérapie, de lectures, de réflexions et une expérience de vie, j’en arrive à la conclusion qu’un concept majeur est celui de BESOIN. Voici 5 raisons.
1) Les besoins nous aident à comprendre les émotions
Selon la perspective de la CNV (communication non violente) du psychologue étatsunien Marshall Rosenberg, nos émotions sont étroitement liées à la satisfaction et à la non-satisfaction de nos besoins.
Selon cette approche, les émotions agréables (joie, plaisir, etc.) surviennent quand nos besoins sont satisfaits. Les émotions désagréables (colère, peur, tristesse, etc.), quant à elle, surgissent quand nos besoins sont insatisfaits. Pour rendre le tout plus concret, voyons comment cela s’applique à des personnes et à des groupes sociaux.
Le bébé pleure (inconfort) lorsqu’il a besoin de manger ou encore lorsque sa couche est mouillée (besoin de confort). Il redevient calme et joyeux quand il est nourri et au sec.
L’enfant peut ressentir de l’ennui, être apathique ou bien agité quand son besoin d’amusement et de stimulation n’est pas satisfait. Quand il joue avec ses amis, il est content, car son besoin de stimulation et d’amusement est comblé.
Un adolescent peut se sentir frustré s’il ne peut faire les choses comme il l’entend (besoin d’autonomie). Si on lui accorde plus de liberté, il pourra éprouver une satisfaction, son besoin d’autonomie étant satisfait.
Un adulte traversant une période difficile (échec, rupture, conflits) et dont le besoin de compréhension et d’empathie n’est pas satisfait peut se sentir seul et désemparé. En revanche, grâce à une écoute empathique, il pourra se sentir compris et apaisé.
Un employé peut éprouver de la frustration et de la colère si son besoin d’équité et de justice n’est pas satisfait au travail. Et si la situation devient à ses yeux plus juste et équitable, il pourra se sentir satisfait et content.
Un peuple dont le besoin de liberté n’est pas comblé pourra se sentir révolté. Lorsqu’il obtient la liberté désirée, il pourrait se sentir fier, satisfait et libre.
Les besoins, comme on peut le constater, nous aident à comprendre nos émotions. Les émotions agréables découlent de besoins satisfaits. Celles désagréables, de besoins insatisfaits. Un principe simple, pratique et facile à retenir.
2) Voir les comportements des autres à travers la lunette des besoins
Ils nous arrivent tous de juger les comportements d’autrui. La notion de besoin nous permet de jeter un regard différent sur les autres. C’est ce qui est enseigné en CNV.
Un enfant qu’on qualifie de «turbulent» est peut-être un enfant qui besoin de stimulation ou d’attention.
Un ado qualifié de «paresseux», qui ne fait pas ses devoirs et qui ne semble pas écouter en classe, est peut-être un ado qui a besoin de comprendre l’utilité future de ce qu’on lui enseigne. Ou peut-être a-t-il besoin de stabilité, de sécurité affective et de sérénité pour se concentrer sur ses études.
Un parent qui «se plaint» du «bordel» dans la chambre de son enfant est peut-être un parent qui a tout simplement besoin d’ordre et de propreté.
Un employé «difficile», «rebelle», «opposant» est peut-être un employé qui a besoin de respect envers son autonomie ou encore d’être impliqué dans les décisions.
Un conjoint ou une conjointe qui dit à son ou sa partenaire de vie «T’es jamais là, on fait jamais rien ensemble», est peut-être en train d’exprimer, indirectement, un besoin de complicité et d’intimité.
Un voisin dit «raciste», «islamophobe» ou «homophobe» est peut-être une personne qui a peur et qui a besoin d’information et d’être rassuré.
Une personne «dépendante affective» pourrait être vue comme une personne qui a du mal à répondre à ses propres besoins d’autonomie, d’estime de soi et de confiance en soi.
Vraiment, il est possible de regarder les comportements et paroles d’autrui à la lumière des besoins (au lieu de porter des jugements, d’apposer des étiquettes et de poser des diagnostics). Un défi à relever.
3) Comprendre le deuil à travers la notion de besoin
Avez-vous déjà entendu des personnes endeuillées parler de l’être cher disparu? Si vous portez attention à leurs propos, vous vous apercevrez que ces personnes endeuillées nomment, en quelque sorte, les besoins que comblait la personne décédée. Voici des exemples.
«Je pouvais tout dire à ma mère sans avoir peur d’être jugé(e)» (= «Elle répondait à mon besoin d’accueil et d’écoute.»)
«C’était mon compagnon, mon complice.» (= « Il répondait à mes besoins de complicité, de connexion et de sécurité affective.»)
«Je pouvais toujours compter sur elle quand j’avais besoin d’aide.» (= «Elle répondait à mon besoin de fiabilité et d’aide. )
«Quand j’avais des décisions importantes à prendre, je pouvais en discuter avec mon père. Il était toujours de bon conseil.» (= «Il répondait à mon besoin de soutien, de clarté pour prendre des décisions.»)
Pensez à un être cher que vous avez perdu. Quels besoins comblait cette personne?
4) Les conflits humains: et si les besoins étaient impliqués?
Bien des conflits pourraient être évités, tant au travail qu’à la maison, si on savait exprimer clairement nos besoins. Voici une mise en situation toute simple.
Après la journée de travail, monsieur souhaite manger à la maison. Madame, au restaurant. Ils argument et n’arrivent pas à s’entendre. Pourquoi? Ils n’ont pas clarifié leurs besoins respectifs, et leur discussion stagne autour des options (manger au resto ou à la maison). Alors, quels sont leurs besoins respectifs?
Madame, travailleuse autonome, a passé la journée seule à son bureau à la maison. Elle ressent le besoin de sortir et de changer d’air. Monsieur, qui a interagi avec des dizaines de personnes au travail, a pour sa part besoin de tranquillité. Ainsi, aller manger dans un resto rempli de monde ne lui convient pas. Une fois les besoins explicités, il est plus facile de trouver une solution permettant de satisfaire les besoins de chacun. Quelle solution créative ce couple a-t-il trouvée? Préparer un piquenique et le déguster dans un parc tranquille. Madame pourra ainsi sortir de la maison, et monsieur trouvera la tranquillité désirée. Tant que les besoins demeurent implicites, il est difficile de trouver des solutions satisfaisantes.
Heureusement, exprimer ses besoins adéquatement, ça s’apprend. Pour en savoir plus sur la manière d’exprimer vos besoins de façon mature et responsable, je vous suggère deux excellents ouvrages sur la communication non violente (CNV): Cessez d’être gentil, soyez vrai! de Thomas d’Ansembourg ou encore Les mots sont des fenêtres (ou des murs) de Marshall Rosenberg. Je vous suggère également l’atelier de 3 heures de Marshall Rosenberg, atelier disponible sur YouTube. De mon côté, j’ai conçu une conférence liée à la CNV : Prévenir les conflits en 4 étapes.
5) L’impact des besoins insatisfaits durant l’enfance sur la vie adulte
«Le besoin est la pierre angulaire de la santé et de la névrose», affirme le psychologue états-unien, Arthur Janov (1982, p. 16). «Pour que nous nous développions normalement, certains besoins fondamentaux doivent être satisfaits au début de notre vie. Nourriture, chaleur, attention, affection, soins et protection nous sont nécessaires […]. », estime-t-il (Janov, 1997, p. 16).
Selon lui, la non-satisfaction de besoins durant l’enfance peut avoir des conséquences notamment sur notre personnalité.
Par exemple, un adulte dont le besoin d’expression durant son enfance a été étouffé pourra développer un besoin excessif d’attention et d’écoute. Ce besoin «névrotique» pourra se traduire par des stratégies plus ou moins adéquates visant à répondre à ce vieux besoin: parler fort, prendre beaucoup de place dans une conversation, interrompre les autres, ramener la discussion à soi, etc. Et malheureusement, cet adulte, une fois parent, risque d’utiliser, inconsciemment, ses enfants comme un auditoire et de brimer à son tour le besoin d’écoute et d’expression de ses propres enfants.
Sans équivoque, pour un développement sain de la personnalité, nous gagnons à répondre aux besoins des enfants : «L’assouvissement des premiers besoins structure notre personnalité. Les personnes chez qui ces besoins ont été satisfaits ont une personnalité plus flexible; elles ont une capacité et une souplesse d’adaptation qui leur permettent de grandir et de changer au fur et à mesure qu’elles acquièrent de l’expérience qu’elles ont à faire face à de nouveaux événements.» (Janov, 1982, p. 22).
Janice Berger (2005, p. 69), pionnière dans la Deep Emotional Processing Therapy, affirme, comme Janov, que nos besoins insatisfaits durant l’enfance peuvent être à l’origine de nos attentes irréalistes envers autrui: « Les attentes irréalistes, découlant de nos besoins inconscients et insatisfaits [dans notre enfance] nuisent à nos relations quand, dans notre vie actuelle, nous nous attendons à ce que les gens nous donnent ce que nous devrions avoir reçu de nos parents: l’amour inconditionnel, l’acceptation, la connaissance de qui nous sommes et de nos besoins.» Certaines personnes s’attendent à ce que les autres devinent leurs besoins, soient d’accord avec elles tout le temps, les aiment inconditionnellement et soient disponibles en tout temps. Est-ce réaliste? Non!
En revanche, si les besoins fondamentaux ont été comblés dans le passé, la personne aura davantage, comme le dit Janov (1997, p. 139), des « besoins relationnels plus matures ».
Notre sexualité peut aussi être influencée par nos besoins inassouvis dans le passé. Janov et Berger sont aussi d’accord sur ce point. Par exemple, une personne ayant manqué de caresses, d’affection et de chaleur pourrait développer une sexualité compulsive, comme si les rapports sexuels n’arrivaient jamais à combler un vide.
Les fantasmes sexuels peuvent découler de besoins insatisfaits. Une collègue sexologue psychothérapeute a déjà reçu en consultation un homme qui avait des fantasmes envahissants et même anxiogènes d’être dominé et humilié. Or il se trouve qu’il avait été humilié et dénigré par son père lorsqu’il était enfant et, plus tard, par des élèves à l’école. Une fois ces traumatismes résolus, les images intrusives se sont dissipées.
En outre, les besoins fondamentaux non comblés durant l’enfance pourraient même, dans certains cas, orienter le choix de carrière. Par exemple, une personne qui a manqué de considération et de respect et qui ne s’est pas sentie importante aux yeux de ses parents pourrait choisir, inconsciemment, une carrière prestigieuse lui procurant un sentiment d’importance (ex.: directeur, maire, ministre). Attention: cela ne veut pas dire que notre choix de carrière découle systématiquement de besoins frustrés dans l’enfance!
Selon Janov (1996, p. 140), lorsque « nos besoins fondamentaux ne sont pas comblés dans notre petite enfance, ils se transforment plus tard en "besoins d’autres choses" [besoins de substitution] – besoin […] d’argent, de succès, de pouvoir, de drogue, d’alcool, etc. Nous passons alors notre temps à nous efforcer de les satisfaire.» Il donne un bon exemple: «[…] notre besoin d’être riches et célèbres n’est souvent que le symbole d’un autre [besoin], bien réel, qui n’a jamais été satisfait si nos parents ne nous ont pas accordé l’attention et la considération que mérite un enfant.»
Le vocabulaire des besoins: un incontournable
Du moment où on considère la notion de besoin comme étant importante, il s’avère ensuite nécessaire et logique de posséder un vocabulaire pour les nommer!
En guise de récapitulation, les besoins évoqués dans le présent article:
Vraiment, les besoins humains sont nombreux et quasi universels.
En conclusion
Ces exemples vous ont-ils convaincu de l’importance du concept de besoin? Pour ma part, il ne fait aucun doute qu’on ne peut comprendre une personne, ses émotions, ses souffrances (petites ou grandes), ses comportements, ses choix, ses conflits interpersonnels et sa sexualité sans tenir compte de ses besoins du présent et de son passé...
Je trouve dommage que, durant mes études universitaires, les professeurs nous aient si peu parlé de ce concept. J’aimerais remercier Louise St-Onge, Ph.D., professeure retraitée de l’UQTR, d’avoir éveillé ses étudiants et étudiantes à cette notion si importante: le besoin.
Selon vous, quel autre concept en psychologie vous apparaît d’une haute importance? Merci de laisser votre commentaire ci-dessous!
P.-S. – J’ai créé une conférence (90 min) et un atelier (3,5 h) qui tiennent compte de la notion de besoin : Prévenir les conflits en 4 étapes et Comment aborder et orienter un employé présentant des problèmes de fonctionnement.
Références bibliographiques
Berger, J. (2005). Emotional Fitness: discovering our natural healing power, Toronto, Penguin Canada.
D’Ansembourg, T. (2001). Cessez d’être gentil, soyez vrai !: être avec les autres en restant soi-même, Montréal, Éditions de l’Homme.
Janov, A. (1975). Le cri primal, Paris, Flammarion.
Janov, A. (1977). L’amour et l’enfant, Paris, Flammarion.
Janov, A. (1982). Prisonniers de la souffrance, Paris, Laffont.
Janov, A. (1997). Le corps se souvient, Paris, Durocher.
Rosenberg, M. B. (2013). Les mots sont des fenêtres (ou des murs): introduction à la communication NonViolente, Saint-Julien-en-Genevois Cedex, Jouvence.