Le pouvoir thérapeutique des larmes

psychothérapie Jun 20, 2022

Il y a un sujet qui m’apparaît rarement abordé par les conférenciers et formateurs en psychologie : les larmes et leurs effets thérapeutiques. Pleurer apaise, rassérène et soigne le cœur. Les endeuillés en savent quelque chose. Je vous partage mes réflexions sur un phénomène naturel, salutaire et parfois méprisé: pleurer. Je m'appuierai notamment sur les écrits du psychologue étasunien Arthur Janov qui a développé la thérapie primale.

 

 Tables des matières:

 

Pleurer : un sujet tabou?

 

Le Dr Arthur Janov confirme ce que je pense : «[…] pour des raisons inexplicables, cette fonction naturelle [pleurer] a été mise à l’index.» Dans le début des années 90, il a demandé à un chercheur de recenser les publications médicales sur les pleurs. Ce dernier avait trouvé à peine quelques études qui avaient vaguement trait aux pleurs. Chose étonnante, aucune publication n’évoquait leurs effets thérapeutiques. C’est le cas de le dire, à cette époque, la médecine était passée à côté d’un phénomène connu du commun des mortels : l’effet thérapeutique des larmes.

 

Pleurer : soulagement et... guérison?

 

Devant une personne qui pleure, certains s’inquiètent; d’autres se sentent bouleversées. Les médecins, par exemple, peuvent être portés à prescrire rapidement des antidépresseurs dans l’intention de soulager la souffrance de leur patient. On peut se demander si la prescription d’antidépresseur vient parfois trop vite, si elle est nécessaire. Un point mérite d’être souligné : pleurer est un mécanisme naturel. Comme le dit Janov, les pleurs sont : «[…] une nécessité biologique, une tentative de guérison, un effort visant à stabiliser l’organisme […].» Toute une affirmation!

Nous en avons tous déjà fait l’expérience : pleurer procure un soulagement et un apaisement. Le Dr William Frey du Saint Paul-Ramsey Medical Center dans le Minnesota a procédé à l’analyse chimique de larmes de patients en thérapie. Qu’a-t-il découvert? Les larmes contiennent des hormones de stress (l’ACTH). Sans équivoque, dit Janov, les larmes «favorisent l’élimination de la composante biologique du stress.» Soit dit en passant, les larmes causées par les oignons tranchés ne contiennent pas d’hormones de stress, indique le Dr Frey!

Pleurer peut non seulement soulager et apaiser, mais cela peut aussi être curatif. Janov a vu de nombreux patients se libérer non seulement de troubles psychiques mais aussi de certains symptômes physiques grâce aux pleurs connectés avec des souffrances anciennes refoulées. Certains patients ont d’ailleurs rapporté s’être libérés d’allergies, de sinusites, etc. Je suis d’accord avec ce psychologue: «Rien n’est plus puissant sur le plan thérapeutique que de verser des larmes d’enfant.» Malheureusement, les adultes ont souvent une attitude plus ou moins adéquate face aux pleurs…

 

Pleurer : une réaction parfois incomprise et méprisée

 

Quelle attitude avaient vos parents à l’égard de vos pleurs? Janov déplore une attitude que pouvaient adopter, malheureusement, certains parents : «On fait taire ses enfants, on les traite de ‘’pleurnichards’’, on considère que c’est adulte que de ne pas pleurer et on prend les pleurs pour un signe de faiblesse.» Heureusement, cette attitude me semble de moins en moins répandue.

Pourquoi certains parents répriment-ils parfois les pleurs de leurs enfants? Selon moi, un adulte qui, dans son enfance, n’avait pas vraiment le droit de pleurer pourra avoir, plus tard, du mal à permettre à son propre enfant de pleurer. Conséquence semblable si l’adulte ne bénéficiait pas, durant son enfance, d’une écoute empathique de la part de ses parents. Logique, n’est-ce pas? Et selon Janov, certains parents tolèrent mal les pleurs de leurs enfants parce qu’ils : «(…) ne veulent s’exposer à rien qui puisse leur rappeler leur propre souffrance cachée.» Autrement dit, les parents peuvent porter en eux une souffrance dont ils veulent se protéger inconsciemment, souffrance qui remonte souvent à leur enfance. 

 

S'empêcher de pleurer : le prix à payer

 

Refouler sa peine (et ses larmes) peut-il avoir des conséquences? Janov a constaté que certains patients qui ne pouvaient exprimer leur tristesse durant leur enfance avaient des commissures de lèvres tournées vers le bas, une expression faciale mélancolique ou triste. Comme mentionné plus haut, il a aussi noté que des patients s’étaient libérés de symptômes physiques après avoir pleuré en thérapie primale. Ainsi, a posteriori, on peut en déduire qu’il y a un prix à payer à refouler sa peine. Pour ma part, j’ai été étonné de constater, il y a quelques années, la disparition d’une douleur à la gorge (un serrement) après avoir pleuré abondamment en faisant le deuil d’une relation.

Janov est sans équivoque sur le risque possible d’une répression massive de la peine : « […] si l’on ne nous laisse pas manifester ce sentiment [de tristesse], si l’on ne peut ouvertement exprimer à fond sa douleur, les sentiments ‘’s’engourdissent’’ et, passé un moment, la dépression s’installe. » Cela a-t-il du sens pour vous?

 

Pleurer un véhicule vers nos blessures anciennes

 

Il m’est arrivé de me mettre à pleurer en écoutant une scène du film Forrest Gump. Je ne comprenais pas pourquoi cette scène me touchait autant. J’ai décidé de réécouter la scène, plusieurs fois – pas par masochisme, soyez sans crainte! Chaque fois que j’écoutais la scène, j’allais plus en profondeur dans le sentiment, sans faire d’exercice d’auto-analyse. Et puis, j’ai fini par ressentir un besoin ancien non satisfait dans ma tendre enfance; c’est ainsi que j’ai pu comprendre pourquoi la scène venait tant me chercher. Cette prise de conscience éclairante s’appelle un insight. Aujourd’hui, la fameuse scène du film ne me déclenche plus. Pourquoi? Sans doute parce que je me suis libéré de la blessure ancienne réveillée par la scène du film.

Le Dr Janov résume bien mon expérience personnelle: « Pleurer ne sert pas seulement à exprimer une peine globale; les pleurs sont aussi un véhicule qui nous fait remonter le temps jusqu’à des traumatismes bien précis, enfouis en nous par les mécanismes du refoulement (…) Les larmes nous lavent de la souffrance et démasquent l’inconscient. » On ne saurait mieux dire!

Ce n’est pas facile de connecter avec la blessure ancienne réveillée par un film, un livre ou le comportement d’une personne. Plusieurs n’y arrivent pas et vivent seulement ce qu’on appelle une abréaction : une décharge d’émotions sans connexion avec le souvenir d’origine. Pour plusieurs personnes, un accompagnement psychologique sera nécessaire pour apprivoiser, accueillir et ressentir ses émotions et ses souffrances récentes et anciennes. Des approches psychocorporelles constituent, notamment, une avenue intéressante dans ce sens. Pour en savoir plus, lisez les livres de Janov ou encore celui de Janice Berger : Emotional Fitness.

 

En bref

 

Pleurer est un phénomène naturel, ignoré, mal compris et parfois méprisé. Chez l’enfant comme chez l’adulte, les larmes soulagent, apaisent et peuvent même nous amener à retrouver d’anciennes blessures et à s’en libérer. Pleurer fait ainsi partie du processus de guérison. J’espère avoir réussi à redonner aux pleurs leurs lettres de noblesse.

 

Références

Janov, A. (1992). Le nouveau cri primal. Paris : Presses de la Renaissance.
Janov, A. (1997). Le corps se souvient. Paris : Éditions du Rocher.
Janov, A. (1975). Le cri primal. Paris : Flammarion.

 

Références

 

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Bonne lecture!

Stéphane Migneault, psychologue

Révisé le 20 novembre 2024